Une visite de l’atelier de Mathieu Cherkit équivaut à un déplacement « sur le motif » puisque les sujets de ses tableaux sont au sein de la maison même de l’artiste, de ses dépendances et du jardin. C’est son terrain de jeu. Le terme est idoine car Cherkit est un artiste qui s’amuse. De chaque tableau, un parfum de jubilation s’échappe. Pas bégueule, il ne cache rien du plaisir qu’il en retire. Cherkit ne fait pas dans la pose, dans l’épate ou l’arrogance d’artiste de cour. C’est ce qui fait qu’il est en train de se positionner – l’air de rien et sans rayer les parquets – comme le peintre majeur de sa génération. Tout est en place pour un Big Bang.
Les œuvres vues dans la maison-atelier-motif, exposées en ce moment à la galerie Jean Brolly, sont l’aboutissement de recherches antérieures que les observateurs avisés de la peinture de Cherkit ont pu voir dans des tableautins modestes, mais non moins remarquables, qui ne jouaient pas des coudes pour démontrer combien ils étaient si beaux en ce miroir. Le thème du balcon est un prétexte à décliner des plans, des espaces contradictoires, des perspectives dépravées, les limites du tableau, sa colonisation par d’arrogants envahisseurs – souvent végétaux –, le vide et le plein, l’étouffement et la chute.
De nouvelles pistes formelles sont même esquissées. Ainsi dans ce tableau majeur Solar Garden où un Christ mort emprunté à Holbein – et De Champaigne – semble régénérer une nature luxuriante et surnaturelle. Dans le jardin de la maison, bien sûr. Les perspectives sont soigneusement cubistes – tendance Hockney. Les bordures en ciment des plates-bandes évoquent des stèles miniatures. Comme chez Poussin, on ne sait pas si on a affaire à un géant dans une nature bonsaï ou à une végétation surdéveloppée autour d’un homme dans sa condition de simple espèce animale. L’unique élément de civilisation contemporaine réside dans la discrète porte au fond, sorte de réminiscence de celle d’où le Roi sort théâtralement dans Les Ménines de Velasquez. En toute retenue, sans le crier sous les toits. La suggestion est la suprême élégance du peintre.
Philippe Ducat